Mars 1942 : les bombes s’abattent sur l’usine Renault de Billancourt. Trois autres raids de l’aviation alliée paralyseront pratiquement la production de camions militaires allemands à laquelle se consacre l’entreprise depuis l’hiver 1940-1941. Louis Renault, qui a laissé faire, le paiera de sa liberté et de sa vie à la Libération : incarcéré à Fresnes le 24 octobre 1944, le vieil homme – il a 67 ans – s’y éteindra dans l’indifférence générale avant que n’intervienne la nationalisation de son entreprise. C’est dans cette atmosphère que des hommes travaillent à ce qu’ils croient être l’avenir de la marque, dans le plus grand secret pour que leurs études ne profitent en rien à l’occupant.
Pour Louis Renault, l’avenir c’est une 11 CV, berline moyenne destinée à remplacer la Primaquatre vieillissante incapable de lutter à armes égales avec la Traction Citroën alors déjà en pleine gloire. Les prototypes très finalisés de la voiture tourneront dès la fin 1941, montrant une évidente filiation avec certaines voitures américaines de l’époque, et annonçant de façon stupéfiante ce que sera après la guerre la… 203 Peugeot. Fernand Picard, depuis peu responsable du bureau d’études, croit plus à un autre projet : celui d’une petite voiture légère prévue pour la grande série, économique et confortable, mieux en rapport avec les contraintes d’une France libérée mais terriblement affaiblie. Il a assisté au succès de la Simca 5, il sait que la Citroën 2CV est prête ; pour lui, l’avenir de Renault ne peut passer que par une petite voiture, version maison de la “voiture minimum”, concept cher à toutes les marques avant la guerre. Ce n’est que le 20 mai 1941 que Louis Renault apprendra l’existence du projet, auquel il ne sera pas très favorable. Picard et son équipe poursuivront tout de même les études, très inspirées de la Coccinelle, dont la production n’a pas encore commencé outre-Rhin. Le premier prototype roule le 24 décembre 1942.
C’est toujours au nez et à la barbe des Allemands (qui ont interdit dans le cadre de l’armistice toute étude de ce genre) que le projet évolue autour d’une mécanique qui, elle, évoluera peu : la 4 CV sera une petite voiture “tout à l’arrière” (moteur et transmission arrière), utilisant un quatre-cylindres moderne à soupapes en tête, à chemises humides, de moins de 1 litre. Mal copié (il faut l’avouer) sur la Coccinelle, le prototype n° 1 est franchement laid. Il sera suivi d’un prototype n° 2 assez proche de ce que sera la voiture définitive, inspiré cette fois des prototypes de la 11 CV alors en chantier. C’est ce prototype que trouvera Pierre Lefaucheux, le premier patron de la Régie Nationale des Usines Renault à son entrée en fonction, et qu’il essaiera le 10 octobre 1944. De grande stature, le PDG critiquera l’accès difficile aux places arrière de cette petite deux-portes : le prototype n° 3 sera donc une quatre-portes ayant pratiquement les caractéristiques du véhicule de série. La voiture est virtuellement prête pour la production en 1945, le PDG ayant définitivement tranché entre la 11 et la 4 CV, en faveur de cette dernière, le 9 novembre 1947. Elle ne sera cependant présentée qu’au Salon 1946, au terme d’une série d’essais d’endurance sous tous les climats, Lefaucheux voulant un véhicule techniquement irréprochable. Régie nationale, Renault bénéficiera d’une priorité d’approvisionnement (sur l’insistance de Lefaucheux auprès d’un ministre nommé Pierre Dreyfus…) qui lui permettra de lancer une présérie en 1946-1947, et la vraie série pour l’été de la même année. La 4 CV sera ainsi la première voiture française de grande diffusion de l’après-guerre.
De 1942 à 1961 Un vague air de famille, seulement, entre le prototype n° 2 de 1942 (photo page 1) et la 4 CV de série (ci-dessous). L’architecture technique, pourtant, est restée la même, à quelques détails près. La petite Renault demeurera une tout à l’arrière à moteur quatre cylindres longitudinal refroidi par eau, d’une cylindrée inférieure à 1 litre. La puissance des modèles de série n’évoluera que de 17 à 21 ch. |
Pour lancer la production, on a trouvé le fer, on a trouvé l’acier, on a trouvé la fonte, on a trouvé le caoutchouc… mais ce qui fait le plus défaut c’est la peinture ! Il faut bien qu’il y ait quelques avantages à être du côté des vainqueurs ; cette peinture on la prendra aux vaincus, et comme le kaki n’est guère seyant, on se contentera des stocks de l’Afrikakorps ! Les premières 4 CV seront donc couleur des sables, un beau jaune pâle qui, pour les Français rationnés, évoquera plus la couleur du beurre (qui fait encore cruellement défaut dans les assiettes) que celle du désert libyen. Les formes arrondies de la voiture feront le reste ; ils la baptiseront bien vite “la motte de beurre”, un sobriquet qui ne survivra cependant pas à l’immédiat après-guerre, la petite Renault devenant ensuite la “4 pattes” ou tout simplement la “4”.
Peu d’évolutions Esthétiquement, les seules modifications des modèles de série concerneront essentiellement la plaque de police, les baguettes de calandre, les clignotants et les sabots d’aile. Intérieurement, on comptera 3 versions de planches de bord : métallique à cadran central ogival, puis à cadran à oreilles à partir du modèle 1951, en plastique à cadran à visière devant le conducteur à partir du modèle 1956. Jusqu’en 1958, la 4 CV utilisera des roues étoiles, qu’elle abandonnera au profit des roues en tôle à voile plein commun à la Dauphine. Pour son ultime année de production, la 4 CV recevra les sièges légers en toile à armature en tube de la R3/R4. Le 6 juillet 1961, la fabrication de la 4 CV s’arrête : 1 105 547 exemplaires en auront été produits. |
L’importance que revêt la 4 CV est liée au concept qu’elle inaugure chez Renault plus qu’à sa carrière propre, qui ne dépassera pas le début des années 1960. Mais la 4 CV c’est d’abord un moteur, un quatre- cylindres de moins de 1 litre de cylindrée, à refroidissement liquide, à soupapes en tête et à arbre à cames latéral entraîné par pignons. Non seulement il survivra à la voiture à travers la Dauphine, la R8, la R10, la Floride/Caravelle, la R6, la R4 et la R5, mais on le retrouvera même sur la Clio de base en 1990 (version R8 Major…) ; les perles sont éternelles !
La 4 CV, c’est aussi le choix du tout à l’arrière contre le tout à l’avant, une option à laquelle Billancourt ne renoncera, sur sa gamme tourisme qu’en 1973 ; pour ses voitures de sport (Alpine Berlinette comme A310, et même R5 Turbo) Renault restera fidèle à cette configuration. La R8 Gordini démontrera, s’il en était besoin l’efficacité de la formule, même si pour le premier venu, la tenue de route ne sera pas vraiment la qualité majeure de la 4 CV et de ses descendantes. Pour le pilote sportif aguerri, il n’y aura jamais rien de mieux qu’une tout à l’arrière, même si aujourd’hui la transmission intégrale fait la démonstration de son efficacité absolue. Monte-Carlo (1949), 24 Heures-du-Mans (1951), Mille-Miglia (1952), d’innombrables courses de côte, rien n’effraiera la 4 CV qui se forgera un palmarès très honorable.
Peu de différences entre le premier modèle de série, de 1947 (à gauche), |
Moteur • Modèle Grand-Luxe (avant octobre 1950) • Modèles Grand-Luxe (après octobre 1950) et |
Type R 1063 Mêmes caractéristiques que ci-dessus sauf : Taux de compression : 8,2/1 Puissance maxi : 46,7 ch à 5 500 tr/mn Carburateur Solex 30 AAI double corps Boîte 4 ou 5 vitesses en option |
Transmission Embrayage mécanique monodisque à sec (électromagnétique Ferlec sur demande) et boîte-pont à 3 rapports AV, commandée par levier central ; demi-arbres de transmission. Suspension avant : roues indépendantes, triangles de suspension, ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques hydrauliques concentriques. Suspension arrière : roues indépendantes, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs hydrauliques (à levier, puis télescopiques). Direction à crémaillère. Freins à tambour sur les quatre roues, à commande hydraulique. |